THÉSÉE, HIPPOLYTE, THÉRAMÈNE.
THÉSÉE.
Quel est l’étrange accueil qu’on fait à votre père,
Mon fils ?
HIPPOLYTE.
Phèdre peut seule expliquer ce mystère.
Mais si mes vœux ardents vous peuvent émouvoir,
Permettez-moi, seigneur, de ne la plus revoir ;
Souffrez que pour jamais le tremblant Hippolyte
Disparaisse des lieux que votre épouse habite.
THÉSÉE.
Vous, mon fils, me quitter ?
HIPPOLYTE.
Je ne la cherchais pas ;
C’est vous qui sur ces bords conduisîtes ses pas.
Vous daignâtes, seigneur, aux rives de Trézène
Confier en partant Aricie et la reine :
Je fus même chargé du soin de les garder.
Mais quels soins désormais peuvent me retarder ?
Assez dans les forêts mon oisive jeunesse
Sur de vils ennemis a montré son adresse :
Ne pourrai-je, en fuyant un indigne repos,
D’un sang plus glorieux teindre mes javelots ?
Vous n’aviez pas encore atteint l’âge où je touche,
Déjà plus d’un tyran, plus d’un monstre farouche
Avait de votre bras senti la pesanteur ;
Déjà de l’insolence heureux persécuteur,
Vous aviez des deux mers assuré les rivages ;
Le libre voyageur ne craignait plus d’outrages ;
Hercule, respirant sur le bruit de vos coups,
Déjà de son travail se reposait sur vous.
Et moi, fils inconnu d’un si glorieux père,
Je suis même encor loin des traces de ma mère !
Souffrez que mon courage ose enfin s’occuper :
Souffrez, si quelque monstre a pu vous échapper,
Que j’apporte à vos pieds sa dépouille honorable ;
Ou que d’un beau trépas la mémoire durable,
Éternisant des jours si noblement finis,
Prouve à tout l’univers que j’étais votre fils.
THÉSÉE.
Que vois-je ? Quelle horreur dans ces lieux répandue
Fait fuir devant mes yeux ma famille éperdue ?
Si je reviens si craint et si peu désiré,
Ô ciel, de ma prison pourquoi m’as-tu tiré ?
Je n’avais qu’un ami : son imprudente flamme
Du tyran de l’Épire allait ravir la femme ;
Je servais à regret ses desseins amoureux ;
Mais le sort irrité nous aveuglait tous deux.
Le tyran m’a surpris sans défense et sans armes.
J’ai vu Pirithoüs, triste objet de mes larmes,
Livré par ce barbare à des monstres cruels
Qu’il nourrissait du sang des malheureux mortels.
Moi-même il m’enferma dans des cavernes sombres,
Lieux profonds et voisins de l’empire des ombres.
Les dieux, après six mois, enfin m’ont regardé1 :
J’ai su tromper les yeux par qui j’étais gardé.
D’un perfide ennemi j’ai purgé la nature ;
À ses monstres lui-même a servi de pâture.
Et lorsqu’avec transport je pense m’approcher
De tout ce que les dieux m’ont laissé de plus cher ;
Que dis-je ? quand mon âme, à soi-même rendue,
Vient se rassasier d’une si chère vue,
Je n’ai pour tout accueil que des frémissements ;
Tout fuit, tout se refuse à mes embrassements.
Et moi-même éprouvant la terreur que j’inspire,
Je voudrais être encor dans les prisons d’Épire.
Parlez. Phèdre se plaint que je suis outragé :
Qui m’a trahi ? pourquoi ne suis-je pas vengé ?
La Grèce, à qui mon bras fut tant de fois utile,
A-t-elle au criminel accordé quelque asile ?
Vous ne répondez point ! mon fils, mon propre fils,
Est-il d’intelligence avec mes ennemis ?
Entrons : c’est trop garder un doute qui m’accable.
Connaissons à la fois le crime et le coupable ;
Que Phèdre explique enfin le trouble où je la vois.
1. M’ont regardé : expression tirée de la Bible, pour dire ont eu pitié de moi, m’ont regardé favorablement.
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